mardi 4 septembre 2007

Dyonisos et Platon


Maintenant que je suis retourné de ces terres inaccessibles, ces territoires du fantasme que sont le pôle nord et l'équateur. Maintenant que j'ai pu lire de ci et de là, les commentaires sur mes travaux, je m'aperçois à quel point le monde de l'art s'empêtre toujours plus dans Platon:
Toujours le mythe de la caverne, mythe exacerbé par les technologies produisant toutes sortes de virtualités, et pour cause ...
Quand on pense que la technologie qui a transformé la post-modernité en hyper-modernité est justement l'aboutissement de cette perception du réel.
Quand on a conscience de cela, je m'aperçois que depuis que j'ai pu osé quitté le virtuel pour me déplacer d'une façon 'hédoniste' dans ces territoires, on me rappelle crûment quelle devrait être ma place: Ainsi une critique de Paris-art écrivait:

"Valéry Grancher travaillant jusqu’ici sur la question du déplacement sans mouvement (un des aspects d’internet), ne pouvait-il pas continuer à rester kinestésiquement aveugle et continuer à faire confiance à la réalité, pour ensuite la ré-interpréter? Comme il l’explique au début du blog du projet, il voulait justement renverser les propositions : la rencontre physique et la vérification sur place du contenu sémiologique, pour le capter lui-même et sans le modifier par la suite.

Poétiquement, la proposition de Valéry Grancher dans Found Sculpture On Mars est cohérente, dans le sens d’une ré-interprétation du réel donné à voir au moyen des médias actuels.
Or, les Shiwiars sont un peuple, non pas un sujet d’expérimentation d’art occidental. Non qu’ils ont été là instrumentalisés : ils théâtralisent eux-mêmes leur quotidien lors de la présence d’observateurs extérieurs et sont tout à fait conscients du rapport ambigu (entre fantasme et mépris) que l’Occident entretient envers eux.
Si la proposition de Valéry Grancher ne semble pas malhonnête, elle parait faussée : le rapport que l’artiste tente d’instaurer avec ce peuple ne peut pas leur être équivalent, et ce, à aucun niveau. Etait-ce là l’intérêt du projet? "
(Lien de cet article) par Anne Kawala

En fait, quand on travaille sur le réel, surtout dans le domaine des arts plastiques, on exige de vous de "ré-interpréter le réel". Cela est assez étonnant à mes yeux et néanmoins compréhensible au regard de l'histoire qui anime notre culture. J'ai en effet travaillé sur les médias, je travaille toujours avec les médias, j'utilise également différents médias, ce qui nourrit également une sorte de malentendu (comment puis je faire en même temps des peintures et des pièces totalement immatérielles ?).
Bref, pour ma part, mon chemin n'est pas celui de la ré-interprétation du réel, mais de la 'vie du réel'. Je n'ai cessé depuis mes débuts de parler de la phénoménologie de nos perceptions corporelles, du rapport de la mémoire au temps et à l'espace, du rapport de la mémoire à l'identité, du rapport de l'identité au langage...
Ces voyages n'ont nullement pour objectif de 'vérifier sur place', mais de rencontrer... de vivre ensemble.... Que les shiwiars théatrâlisent leurs vies ne m'importent peu, il s'agit de rapports sensuels au delà du langage, fait de regards et de gestes, de partages du goût et des plaisirs de bouches. Pour moi, ma rencontre avec les shiwiars n'a rien d'une démarche anthropologique, mais il s'agit d'un voyage dionysiaque d'un poète. Je n'ai jamais cherché à ré-interpréter le réel, mais j'ai toujours cherché à le vivre.
Comment accepter cette affirmation de cette critique qui par cette expression: "le rapport que l’artiste tente d’instaurer avec ce peuple ne peut pas leur être équivalent..." signifie l'absence d'une telle équivalence ? et l'éventualité de l'existence d'une équivalence? Seuls les acteurs de cette relation peuvent en parler, les shiwiars et moi même; et certainement pas en terme de 'équivalence' mais de relations, d'échanges, de partages, et, il me semble que ces faits furent opérant si je considère que Pascual (chef de cette communauté) a tenu à ce que je porte sa tawasap (couronne de plumes) au Pôle Nord afin de m'accompagner spirituellement. Alors de quelle équivalence parle t'on ?, qu'est ce qui est faussé ? il me semble que cet écrit est fait d'apriori, d'ignorances sur les sujets abordés. Toutes les relations avec ces personnes vivant au plus profond de cette jungle relèvent plus d'une forme de sensualité des gestes et signes que des rapports d'équivalences. Personne n'a cherché à établir une équivalence, mais tout le monde a cherché à échanger et partager. Au pôle nord, la seule sensualité que j'ai pu vivre fût celle avec le monde climatique, géologique et animal...
Et d'ailleurs sur ce blog, on peut voir à quel point, la vie sur les bases polaires est différente de celle de la communauté shiwiar. Cette dernière est purement hédoniste alors que celle des bases polaires se rapprocherait un peu de la vie de nos casernes par son découpage temporel imposé par les mesures scientifiques, où chaque minute se doit d'être exploitée...
Ainsi tout mon travail n'est pas une ré-interprétation du réel mais une tentative de vie du réel...par tentative de "vie du réel", j'entends "habiter le réel"...

photo: Baleine Bélouga prenant sa respiration