jeudi 13 septembre 2007

Le temps du regard

Le temps est un art individuel propre à chacun. Il n’est pas une durée, il n’est pas un cycle, il est la vie, sa durée est la souffrance et son éternité est la mort. Alors tout le monde le gère à sa façon, ainsi il y a ceux qui le trouve éternellement long et masquent les pendules et montres. Car leur simple vision le dilate de façon asymptotique jusqu’à la fin d’une période :
L’heure de sortie du bureau, la sortie de l’école, la fin d’un rêve tendant vers l’éveil…
Très tôt, j’ai appris cette chose: une façon d’habiter le temps qui n’est plus de constater sa fuite, de le compter, le quantifier, le mesurer ; mais de le figer à un instant. A rendre cet instant éternel au point de le mortifier.
Ces instants morts mettent le monde sur 'pause' :
Tout se fige, les mouvements, le cinéma de la vie. Tout s’arrête, le regard alors existe et se pose sur toutes choses…
Comment ai-je appris cela ? Quand j’ai appris que j’étais fasciné par la beauté. D’où me vient cette fascination ?

Huit ans, le chiffre huit, cet anneau de Moebius fut mon année clef, quand en cette saison chaude, je vis une jeune femme italienne sans pudeur dans les douches du camping, se pencher sur mon visage pour me caresser les cheveux tout en me disant « Belli occhi… » . Le compliment me touchait moins que la vision qui s’offrait à moi :
- le perlé, le grain et la soie de sa peau
- Son pubis innocent (à la hauteur de mes yeux) origine de toutes les courbes de ce magnifique corps qui m’hypnotisait.
Je découvrais la beauté, sans arrière pensée, plaisir rétinale fait de chair, de courbes, de lignes et de tonalités. Une beauté qui me remplissait, me ravissait.
Ce corps qui se déplace sous une lumière crépusculaire, le mouvement des ses reliefs et monts doux, me clouait sur place. Ce fût certainement la plus belle chose qui m’ait été donné à voir en cette vie.
Dès lors le temps se figea, je découvrais l’éternel, cette sensation de plénitude qui vous donne le pouvoir de tout figer pour laisser le regard vivre au creux des plus beaux plis féminins, et l'oeil se plonge dans l'origine du monde...

Non ce n'est pas la beauté d'une pieta faite d'un adonis ensanglanté à la carnation de marbre, s'abandonnant dans les bras d'une vierge mère ! Non ce n'est pas ce mythe donnant naissance à la culpabilité éternelle qui me donna le goût de la beauté, et tout l'enseignement jésuite que j'ai pu subir n'y aura rien fait, rien changé...

Le corps féminin était une découverte fabuleuse, elle m’apprit à échapper aux journées de cours, à inventer mon art du temps afin que les huit heures de mes journées sombrent dans l’oubli. Ce phénomène fut également un désastre pour ma scolarité, ainsi mes enseignants me trouvaient dissipé. Ayant tout de même de très bonnes notes dans les matières qui comptent : Cela me valait des foudres de la part de mes enseignants et parents « peut mieux faire ! ». Pour tout apprentissage, je figeais l’instant, me levait et dévoiler le corps de mon enseignante, le scrutais sous tous les angles, et admirait les courbes de ses différents reliefs et leurs gravités. Ainsi aucun vêtement ne pouvait dissimuler à mes yeux quoique ce soit… Je pouvais glisser dans ses moindres plis, dessiner ses courbes et lignes et trouvait cette beauté mystérieuse au point de me ravir, je découvrais la féminité. Je ne sais ce que penseraient ces femmes si elles savaient tout cela. Si elles savaient que cet enfant au visage d’ange si rêveur buvait leur beauté à la surface de leur peau…
C'est cet apprentissage tout au long des années qui allaient me mener à l’âge d’homme et celui de père…
En quittant l’innocence de mes huit ans, je découvrais d’année en année ce qu’est la beauté coupable, celle des objets et celle innocente de la nature. Cette cristallisation du temps m’offrait des voyages inouïs dans les méandres de quelques surfaces, lignes et lumières. Ce ne fut pas Einstein qui m’apprit la relativité du temps, les liens forts entre le temps et l’espace qui le contient. Mais la sensualité du regard, l’éveil des sens jusqu’à celui de mes hormones…
La Nature s’est alors révélée à mes yeux de cette façon. La nature comprend aussi bien les corps que les espaces, les paysages. De plus ce regard m’apprenait l’absence de distance qu’il y a entre nature et regard, et bien plus tard quand je fus doué de la faculté d’abstraction, je dirai 'nature et culture'. C’est exactement pour cette raison également que la nature s’opposait à mes yeux aux objets qui fatalement ne pouvaient accéder à cette cristallisation sensuelle du temps, de l’espace et des corps.
Cela m’a valu bien des malentendus, quand plus tard, certains membres de la gente féminine me prenaient pour un attardé quand elles me trouvaient scotché à un objet posé sur une table (un cendrier) pendant de longues minutes, tout en les entendant gloser. Pendant, que je savourais cet instant pour en faire un objet du regard, une nature morte, j’échappais au dialogue, je ne valorisais plus leur beauté, elles m'en voulaient et devenais de facto un psychopathe à leurs yeux.
La nature apprend une forme de sensualité par sa contemplation, surtout quand dans des territoires abstraits d’humains, elle nous enseigne la précarité et la fragilité de l’être, du corps. Il s’agit bien d’une sensualité, quand on ressent à la surface de sa peau cette douceur humide et chaude, cette même humidité qui s’enfonce dans nos bronches avec les arômes des muscs et pollens de la jungle alentour. Il s’agit également de sensualité, quand dans ces espaces monochromes de l’arctique qui nous aveugle; le froid nous fait ressentir ces frissons si douloureux, suivis de la douceur des flux sanguins ravivant nos membres lors du repos.
Il n’y a pas d’érotisme, mais une vraie jouissance du corps apportée par l’ascèse imposée par cette nature, cette jouissance n’a rien de sexuel. Elle rejoint cette même jouissance quand enfant je découvrais la nature de la beauté féminine. Ce mystère féminin, incompréhensible, en dehors de toute raison mais tellement nature…
Le temps alors à mes yeux ne peut être durée, ou instant, mais cet arrêt en dehors du temps et de l’espace qui révèle la beauté de toutes choses…
Le temps du regard est féminin...

samedi 8 septembre 2007

Fragment de vie inuit



La souffrance est durée, la vie est temps, la mort est éternelle...


vidéo: "cérémonie d'échange d'épouse" extrait de "journal" de Knud Rasmussen

vendredi 7 septembre 2007

Universalité humaine


"Au bord du rio"


"Une histoire complète d'un chaman" (sous-tire en anglais)

Que ce soit au plus profond de la densité végétale en cette parallèle médiane de notre monde (équateur), que ce soit en ces immensités achromes au zénith de notre monde (le pôle nord), une présence, l'humain.
Les bonnes intentions, les organismes de défense des communautés indigènes (le développement durable, le commerce équitable) ont pour tout effet une meilleure négation de la différence et de la diversité humaine. On remplace le curare par des carabines, on remplace les chiens par des skidoos, et afin de subvenir à ces nouvelles dépendances, on se prostitue, les corps deviennent des simples marchandises bien moins valables que les gisements de pétrole ou de ressources diverses. Nos bonnes intentions tendent à nier le nomadisme de ces peuples faisant fi des frontières, manifestant ainsi, dans notre conscience paranoïaque un effroi justifiant leur sédentarisation amenée par les dépendances qu'on leur offre avec les meilleures intentions. Alors ces groupes isolés, au sommet de notre monde tombent dans la misère sexuelle: les agressions sexuelles. Les relations contre nature se multiplient apportant son lot d'handicaps et pathologies génétiques optimisant leur disparition sous l'alibi de la dégénérescance et déchéance...

Où que l'on aille en ce monde, il n'y a plus de libertés:
Que ce soit chez nous, où l'hyper-modernité de nos chers politiques sur-médiatisés apportent des nouvelles formes de totalitarismes.
Que ce soit ailleurs, en ces régions sus nommées, où les chamans n'ont plus droit à l'hédonisme séculaire de leurs peuples, mais se doivent de devenir de la main d'oeuvre peu chère sur les derricks et plate-forme nouvellement implantés, ou encore devenir les valets des nantis en mal d'exotisme se déversant par groupes en avions et paquebots divers.
Bien sur, ne soyons pas naïfs, ces peuples ne sont pas plus innocents que nous, ne sont ils pas anthropophages ? n'ont ils pas menés des expéditions meurtrières contre d'autres tribus ? bien sur il est plus aisé de s'émouvoir sur la disparition des pandas et des ours polaires ! Ils ont la blancheur de l'innocence animale.
Avez vous déjà entendu parler dans nos chers 'JT' des expéditions meurtrières menées par des milices d'importants acteurs économiques? afin de les déposséder de leurs territoires ancestraux ? avez vous entendu parler des persécutions par la Perenco sur les shuars en Equateur, de la De Beers au Botswana ? *

Plus de 100 peuples indigènes dans le monde refusent le contact avec l'extérieur, sont ils condamnés pour autant ?

Ces peuples du zénith et de la médiane de notre monde, ont en commun cet hédonisme séculaire, millénaire. Ils sont les seuls à avoir pu assumé leur animalité, leur donnant ainsi la capacité de communiquer avec le monde animal et végétal. Ils n'ont pas eu cette arrogance de mettre une distance entre la nature et leur culture. Doit on notre arrogance romantique à notre chrétienté ? Est ce à ce nom que l'on doit s'évertuer à effacer leur mémoire orale et leur identité? en allant jusqu'à les exterminer?

Et c'est bien là, la seule chose commune à l'humain en ce bas monde, cette nécessité des peuples à dominer d'autre peuples à n'importe quel prix, y compris celui d'hypothéquer l'avenir du monde biologique.
Car cela est sure, en continuant sur cette voie le monde minéral survivra à la disparition de la vie, et notre chère planète deviendra un banal objet de l'espace fait de gaz et de roches. Nos persécutions ne suffisent pas, notre consumérisme hystérique entraine pollutions et troubles climatiques, mais qui subit les effets nocifs de ces troubles ?
Est ce là l'ultime but de la vie ? sa négation ?

* afin de vous informer sur ces persécutions, je vous invite à suivre les bulletins d'informations de survival international

vidéos:
1- femme shiwiar préparant un repas (Valéry Grancher)
2- Scène du journal de Knud Rasmussen (sous-titres en anglais)

mardi 4 septembre 2007

Dyonisos et Platon


Maintenant que je suis retourné de ces terres inaccessibles, ces territoires du fantasme que sont le pôle nord et l'équateur. Maintenant que j'ai pu lire de ci et de là, les commentaires sur mes travaux, je m'aperçois à quel point le monde de l'art s'empêtre toujours plus dans Platon:
Toujours le mythe de la caverne, mythe exacerbé par les technologies produisant toutes sortes de virtualités, et pour cause ...
Quand on pense que la technologie qui a transformé la post-modernité en hyper-modernité est justement l'aboutissement de cette perception du réel.
Quand on a conscience de cela, je m'aperçois que depuis que j'ai pu osé quitté le virtuel pour me déplacer d'une façon 'hédoniste' dans ces territoires, on me rappelle crûment quelle devrait être ma place: Ainsi une critique de Paris-art écrivait:

"Valéry Grancher travaillant jusqu’ici sur la question du déplacement sans mouvement (un des aspects d’internet), ne pouvait-il pas continuer à rester kinestésiquement aveugle et continuer à faire confiance à la réalité, pour ensuite la ré-interpréter? Comme il l’explique au début du blog du projet, il voulait justement renverser les propositions : la rencontre physique et la vérification sur place du contenu sémiologique, pour le capter lui-même et sans le modifier par la suite.

Poétiquement, la proposition de Valéry Grancher dans Found Sculpture On Mars est cohérente, dans le sens d’une ré-interprétation du réel donné à voir au moyen des médias actuels.
Or, les Shiwiars sont un peuple, non pas un sujet d’expérimentation d’art occidental. Non qu’ils ont été là instrumentalisés : ils théâtralisent eux-mêmes leur quotidien lors de la présence d’observateurs extérieurs et sont tout à fait conscients du rapport ambigu (entre fantasme et mépris) que l’Occident entretient envers eux.
Si la proposition de Valéry Grancher ne semble pas malhonnête, elle parait faussée : le rapport que l’artiste tente d’instaurer avec ce peuple ne peut pas leur être équivalent, et ce, à aucun niveau. Etait-ce là l’intérêt du projet? "
(Lien de cet article) par Anne Kawala

En fait, quand on travaille sur le réel, surtout dans le domaine des arts plastiques, on exige de vous de "ré-interpréter le réel". Cela est assez étonnant à mes yeux et néanmoins compréhensible au regard de l'histoire qui anime notre culture. J'ai en effet travaillé sur les médias, je travaille toujours avec les médias, j'utilise également différents médias, ce qui nourrit également une sorte de malentendu (comment puis je faire en même temps des peintures et des pièces totalement immatérielles ?).
Bref, pour ma part, mon chemin n'est pas celui de la ré-interprétation du réel, mais de la 'vie du réel'. Je n'ai cessé depuis mes débuts de parler de la phénoménologie de nos perceptions corporelles, du rapport de la mémoire au temps et à l'espace, du rapport de la mémoire à l'identité, du rapport de l'identité au langage...
Ces voyages n'ont nullement pour objectif de 'vérifier sur place', mais de rencontrer... de vivre ensemble.... Que les shiwiars théatrâlisent leurs vies ne m'importent peu, il s'agit de rapports sensuels au delà du langage, fait de regards et de gestes, de partages du goût et des plaisirs de bouches. Pour moi, ma rencontre avec les shiwiars n'a rien d'une démarche anthropologique, mais il s'agit d'un voyage dionysiaque d'un poète. Je n'ai jamais cherché à ré-interpréter le réel, mais j'ai toujours cherché à le vivre.
Comment accepter cette affirmation de cette critique qui par cette expression: "le rapport que l’artiste tente d’instaurer avec ce peuple ne peut pas leur être équivalent..." signifie l'absence d'une telle équivalence ? et l'éventualité de l'existence d'une équivalence? Seuls les acteurs de cette relation peuvent en parler, les shiwiars et moi même; et certainement pas en terme de 'équivalence' mais de relations, d'échanges, de partages, et, il me semble que ces faits furent opérant si je considère que Pascual (chef de cette communauté) a tenu à ce que je porte sa tawasap (couronne de plumes) au Pôle Nord afin de m'accompagner spirituellement. Alors de quelle équivalence parle t'on ?, qu'est ce qui est faussé ? il me semble que cet écrit est fait d'apriori, d'ignorances sur les sujets abordés. Toutes les relations avec ces personnes vivant au plus profond de cette jungle relèvent plus d'une forme de sensualité des gestes et signes que des rapports d'équivalences. Personne n'a cherché à établir une équivalence, mais tout le monde a cherché à échanger et partager. Au pôle nord, la seule sensualité que j'ai pu vivre fût celle avec le monde climatique, géologique et animal...
Et d'ailleurs sur ce blog, on peut voir à quel point, la vie sur les bases polaires est différente de celle de la communauté shiwiar. Cette dernière est purement hédoniste alors que celle des bases polaires se rapprocherait un peu de la vie de nos casernes par son découpage temporel imposé par les mesures scientifiques, où chaque minute se doit d'être exploitée...
Ainsi tout mon travail n'est pas une ré-interprétation du réel mais une tentative de vie du réel...par tentative de "vie du réel", j'entends "habiter le réel"...

photo: Baleine Bélouga prenant sa respiration

lundi 3 septembre 2007

Les cercles du temps

Point d'images figurant le temps, le temps est un cercle, le cercle est une ouverture, un cycle, un champ. Le pôle nord, est un cercle au 80 degré nord, zone de grand froid, de temps divers:

- Le temps géologique où dans les terres du Svalbard, tout rappelle des natures perdues, figées: Les forêts fossilisés, les cadavres gelés des baleiniers dans des cercueils ouvert à la blancheur mortelle. Les squelettes blanchis des bélougas, phoques, morses. Les vertèbres abandonnées et arrogantes. Les roches schisteuses plissées cisaillant les éléments, déchirant les nuages du haut de leurs éternités passées. Les glaces plissées et mordorées creusant les fjords. Les côtes gangrénées et érodées par les flots aciers...

- Le temps corporel, criant de douleur sous l'agression des rhumatismes, quand les températures montent au dessus de zéro. Cette humidité moisie et froide qui ronge toutes les chairs pour faire greloter, frissonner. Le froid négatif qui provoque des douleurs affreuses à l'extrémité des doigts pour provoquer des frissons douloureux dans les membres. Ce froid coupant, cisaillant par traitrise la peau à la commissure des yeux, et dans les divers plis de notre corps...

- Le temps solaire qui étire les nuits et les jours pour les rendre interminables et insupportables. Ce jour sans fin qui interdit le sommeil et les rêves. Cette lumière blafarde qui aveugle et rappelle la course de notre planète autour du soleil...

- Le temps de la terre, qui vous expose une terre dénuée d'humanité où les hommes sont des intrus. Ce temps qui vous pousse au mystique par le silence écrasant et la contemplation des lieux qui vous condamnent.

- Le temps animal quand par la majesté d'un ours polaire dressé vous fixe dans les yeux avec une expression si humaine, vous invitant presque à vous cajoler dans son pelage quand d'un coup de patte il peut vous arracher la tête. La virtualité de sa présence entaillant votre dos du poids d'une carabine de calibre 308 vous torturant pendant vos déplacements . Le temps d'un souffle entendu, celui de la respiration d'une baleine dans cette immensité silencieuse. ce souffle qui suspend le temps sous un ciel acier en déformant une surface miroir.

Tous ces temps inhumains qui vous rappellent l'incongruité de votre présence et la stupidité des explorateurs nantis puant le fauve que vous croisez en ces lieux. Ces gens qui portent leurs souffrances, et puanteurs comme des trophées de leur masochisme transformé en exploits. Ces pseudo explorateurs marchant sans but si ce n'est celui d'emprunter les pas des récits héroïques des temps des origines de notre modernité !

C'est de tous ces temps que mon installation vidéo essaye de rendre compte, par une image semblant fixe, dont la lumière ne change pas, mais fait un tour d'horizons en 24 malheureuses heures...