Le temps est un art individuel propre à chacun. Il n’est pas une durée, il n’est pas un cycle, il est la vie, sa durée est la souffrance et son éternité est la mort. Alors tout le monde le gère à sa façon, ainsi il y a ceux qui le trouve éternellement long et masquent les pendules et montres. Car leur simple vision le dilate de façon asymptotique jusqu’à la fin d’une période :
L’heure de sortie du bureau, la sortie de l’école, la fin d’un rêve tendant vers l’éveil…
Très tôt, j’ai appris cette chose: une façon d’habiter le temps qui n’est plus de constater sa fuite, de le compter, le quantifier, le mesurer ; mais de le figer à un instant. A rendre cet instant éternel au point de le mortifier.
Ces instants morts mettent le monde sur 'pause' :
Tout se fige, les mouvements, le cinéma de la vie. Tout s’arrête, le regard alors existe et se pose sur toutes choses…
Comment ai-je appris cela ? Quand j’ai appris que j’étais fasciné par la beauté. D’où me vient cette fascination ?
Huit ans, le chiffre huit, cet anneau de Moebius fut mon année clef, quand en cette saison chaude, je vis une jeune femme italienne sans pudeur dans les douches du camping, se pencher sur mon visage pour me caresser les cheveux tout en me disant « Belli occhi… » . Le compliment me touchait moins que la vision qui s’offrait à moi :
- le perlé, le grain et la soie de sa peau
- Son pubis innocent (à la hauteur de mes yeux) origine de toutes les courbes de ce magnifique corps qui m’hypnotisait.
Je découvrais la beauté, sans arrière pensée, plaisir rétinale fait de chair, de courbes, de lignes et de tonalités. Une beauté qui me remplissait, me ravissait.
Ce corps qui se déplace sous une lumière crépusculaire, le mouvement des ses reliefs et monts doux, me clouait sur place. Ce fût certainement la plus belle chose qui m’ait été donné à voir en cette vie.
Dès lors le temps se figea, je découvrais l’éternel, cette sensation de plénitude qui vous donne le pouvoir de tout figer pour laisser le regard vivre au creux des plus beaux plis féminins, et l'oeil se plonge dans l'origine du monde...
Non ce n'est pas la beauté d'une pieta faite d'un adonis ensanglanté à la carnation de marbre, s'abandonnant dans les bras d'une vierge mère ! Non ce n'est pas ce mythe donnant naissance à la culpabilité éternelle qui me donna le goût de la beauté, et tout l'enseignement jésuite que j'ai pu subir n'y aura rien fait, rien changé...
Le corps féminin était une découverte fabuleuse, elle m’apprit à échapper aux journées de cours, à inventer mon art du temps afin que les huit heures de mes journées sombrent dans l’oubli. Ce phénomène fut également un désastre pour ma scolarité, ainsi mes enseignants me trouvaient dissipé. Ayant tout de même de très bonnes notes dans les matières qui comptent : Cela me valait des foudres de la part de mes enseignants et parents « peut mieux faire ! ». Pour tout apprentissage, je figeais l’instant, me levait et dévoiler le corps de mon enseignante, le scrutais sous tous les angles, et admirait les courbes de ses différents reliefs et leurs gravités. Ainsi aucun vêtement ne pouvait dissimuler à mes yeux quoique ce soit… Je pouvais glisser dans ses moindres plis, dessiner ses courbes et lignes et trouvait cette beauté mystérieuse au point de me ravir, je découvrais la féminité. Je ne sais ce que penseraient ces femmes si elles savaient tout cela. Si elles savaient que cet enfant au visage d’ange si rêveur buvait leur beauté à la surface de leur peau…
C'est cet apprentissage tout au long des années qui allaient me mener à l’âge d’homme et celui de père…
En quittant l’innocence de mes huit ans, je découvrais d’année en année ce qu’est la beauté coupable, celle des objets et celle innocente de la nature. Cette cristallisation du temps m’offrait des voyages inouïs dans les méandres de quelques surfaces, lignes et lumières. Ce ne fut pas Einstein qui m’apprit la relativité du temps, les liens forts entre le temps et l’espace qui le contient. Mais la sensualité du regard, l’éveil des sens jusqu’à celui de mes hormones…
La Nature s’est alors révélée à mes yeux de cette façon. La nature comprend aussi bien les corps que les espaces, les paysages. De plus ce regard m’apprenait l’absence de distance qu’il y a entre nature et regard, et bien plus tard quand je fus doué de la faculté d’abstraction, je dirai 'nature et culture'. C’est exactement pour cette raison également que la nature s’opposait à mes yeux aux objets qui fatalement ne pouvaient accéder à cette cristallisation sensuelle du temps, de l’espace et des corps.
Cela m’a valu bien des malentendus, quand plus tard, certains membres de la gente féminine me prenaient pour un attardé quand elles me trouvaient scotché à un objet posé sur une table (un cendrier) pendant de longues minutes, tout en les entendant gloser. Pendant, que je savourais cet instant pour en faire un objet du regard, une nature morte, j’échappais au dialogue, je ne valorisais plus leur beauté, elles m'en voulaient et devenais de facto un psychopathe à leurs yeux.
La nature apprend une forme de sensualité par sa contemplation, surtout quand dans des territoires abstraits d’humains, elle nous enseigne la précarité et la fragilité de l’être, du corps. Il s’agit bien d’une sensualité, quand on ressent à la surface de sa peau cette douceur humide et chaude, cette même humidité qui s’enfonce dans nos bronches avec les arômes des muscs et pollens de la jungle alentour. Il s’agit également de sensualité, quand dans ces espaces monochromes de l’arctique qui nous aveugle; le froid nous fait ressentir ces frissons si douloureux, suivis de la douceur des flux sanguins ravivant nos membres lors du repos.
Il n’y a pas d’érotisme, mais une vraie jouissance du corps apportée par l’ascèse imposée par cette nature, cette jouissance n’a rien de sexuel. Elle rejoint cette même jouissance quand enfant je découvrais la nature de la beauté féminine. Ce mystère féminin, incompréhensible, en dehors de toute raison mais tellement nature…
Le temps alors à mes yeux ne peut être durée, ou instant, mais cet arrêt en dehors du temps et de l’espace qui révèle la beauté de toutes choses…
Le temps du regard est féminin...
jeudi 13 septembre 2007
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